Tout au long de l’été, des bénévoles se sont mobilisés auprès du Conservatoire d’espaces naturels des Hauts-de-France pour proposer aux habitants de la région une opération inédite : « Rendez-vous en terrains connus« . Plus de 100 activités nature ont ainsi été proposées gratuitement au grand public en juillet et en août, dont 30 ont été animées par des Conservateurs bénévoles. Parmi eux, Sylvain THIERY, Conservateur bénévole à Cambronne-lès-Clermont, nous livre son témoignage au travers d’un entretien personnel.
Depuis combien de temps êtes-vous Conservateur bénévole sur les sites de Cambronne-lès-Clermont ? Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre le Conservatoire d’espaces naturels des Hauts-de-France en tant que Conservateur bénévole de l’association ? Je suis Conservateur bénévole de 2 sites à Cambronne-les-Clermont (60) : la Vallée Monnet depuis 2000 et le Marais de Berneuil depuis 2006. Je suis engagé dans la protection de la Nature depuis … longtemps ! Adhérent de Picardie Nature (alors GEPOP) depuis 1969, fils de l’ancien président et frère du président actuel de Pic-Nat. Sans oublier mes quelques années de Fac. à Amiens avec les fondateurs du GEMINAPI (ancêtre du Conservatoire), dont Vincent Boulet, Eric Mercier, Maurice Duquef…
L’engagement comme Conservateur bénévole est donc une évidence.
Combien d’animations avez-vous proposé dans le cadre de l’opération estivale « Rendez-vous en terrains connus » ? Pouvez-vous nous décrire l’une de vos animations ? J’ai proposé 4 animations cet été : le 20/06, le 11/07, le 23/07 (un inventaire des Hétérocères hors-programmation) et le 08/08. En général, je commence mes sorties par une présentation du Conservatoire d’espaces naturels, quelques explications sur le déroulement de l’activité, avec distribution éventuelle de documents et quelques recommandations particulières (notamment sur les tiques !).
Nous débutons par 15 min de marche. Je propose d’abord une approche géologique et hydrologique sur site, à partir des fragments de dalle calcaire du Lutétien et des affleurements de sable de Cuise. Lors de la visite du Marais de Berneuil, je présente cette zone humide exceptionnelle et ses espèces emblématiques : Mouron délicat en Juin-Juillet et Gentiane pneumonanthe en Août, entre autres. Puis nous repartons de nouveau pour 15 min de marche pour rejoindre les pelouses calcaires de la Vallée Monnet , sa floraison estivale, et les nombreux insectes (et parfois reptiles). Puis nous terminons par une marche de 30 min à travers un désert biologique de cultures intensives et agrochimiques, qui fait encore plus prendre conscience aux participants de la rareté de ce qu’ils ont vu et de la nécessité de préservation et de restauration de ces milieux.
Je demande toujours aux participants de faire un maximum de photos des plantes et bestioles rencontrées et de me les envoyer par mail, à la fois pour alimenter les bases de données (Clic nat et Digitale » et pour leur retourner avec les déterminations. Je leur demande également l’autorisation de les inscrire dans ma liste de contacts (bénévoles du Conservatoire), afin de les tenir informés des sorties et chantiers hors programme. Je propose annuellement (environ) depuis 20 ans : 5 à 10 sorties tout public, 2 à 5 sorties plus scientifiques, 2 à 5 chantiers (1 tout public + hors-programme), sans oublier quelques stands sur des marchés du terroir ou des manifestations en lien avec la nature.
Quelles sont les particularités des sites dont vous êtes le Conservateur bénévole ?
Vallée Monnet : ensemble de coteaux et pelouses calcaires découverts en 1998 par Chantal BARBAY, co-conservatrice avec moi depuis le début (elle habite la commune, pas moi). Chantiers en 1998 et 1999 avec accord de l’ONF, sous forme de chantiers de réinsertion et socialisation avec des patients de l’Hôpital psychiatrique de Clermont (où Chantal Barbay et moi-même étions infirmiers), puis convention tripartite Conservatoire d’espaces naturels/Commune/ONF en 2000 avec sorties tout public (5 à 10 par an), sorties inventaires avec naturalistes amateurs « confirmés » pour compléter les inventaires (botanique, entomo…), chantiers de restauration du milieu : chantier tout public le 1er Samedi de Septembre, et chantiers hors-programme avec Lycée agricole et bénévoles. De moins de 5000m2 de pelouses relictuelles en 1998, le site est passé à un peu plus de 2ha de milieux restaurés de qualité et bientôt 3 ha.
- Quelques espèces remarquables sur ce site :
Sur le plan botanique : Anémone pulsatille (42000 pieds sur le coteau de 5000m2), Bugle de Genève, Polygala chevelu, 17 espèces d’orchidées (dont Neottinea ustulata +200 pieds), Germandrée de montagne, Lin à feuilles ténues, Véronique couchée, Thésion couché, Euphorbe de Séguier, Gentianelle d’Allemagne (+500 pieds), Actée en épi (sous-bois humide en bas du coteau), Chêne pubescent et Alisier torminal à l’état naturel.
Faune : (Mamm.) Renard, Blaireau bien présent avec nombreux terriers, Noctule commune, (Ornitho.) Buse variable, Bondrée, Epervier, Chouette hulotte, Pic noir, Torcol fourmilier, Rouge-queue à front blanc, Bruant zizi, (Herpéto.) Orvet, Lézard des murailles et Lézard vivipare, grosse population de Lézard des
souches, Couleuvre à collier, Coronelle lisse, (Entomo.) Clossiana dia, Issoria lathonia, Ladoga camilla, Apatura iris, Argynnis paphia, Thecla betulae,
Callophris rubi, Polyomatus belargus (revenu depuis 2017), P. icarus, P. coridon (de 2000 à 25000 individus suivant les années), Iphiclides podalirius revenu cette année ! + de 120 espèces d’Hétérocères (macro et micro) dont 20 déterminantes ZNIEFF Mante religieuse, Decticelle cendrée, Oedipodia caerulescens, Petite Cigale de montagne… et j’en passe !
Marais de Berneuil : inclus dans la convention tripartite après inventaires de 2006. Il s’agit d’un ensemble para-tourbière alcaline de pente et bas-marais alcalin, ne subsistant plus en 2006 que sous la forme de 4 clairières de quelques centaines de m2 chacune, séparées par des bandes boisées et embroussaillées de ligneux plus on moins morts, aux racines asphyxiées par encroûtement calcaire. Les premiers chantiers, par lycée forestier, ont permis de supprimer ces boisements moribonds et de recréer une seule entité d’environ 2 ha. Cet ensemble est entretenu par chantier de fauche exportatrice de rejets ligneux et molinies, effectués par lycée agricole, bénévoles, et prestataires extérieurs.
- Quelques espèces remarquables sur ce site :
Faune : relativement pauvre, citons cependant Couleuvre à collier, Grenouille agile, Crapaud commun, Salamandre tachetée, Leste brun, Cordulegastre annelé
Argynnis paphia, Ladoga camilla, Argyope bruennechii abondante, Vertigo de Des Moulins (le type décrit en 1849 par Dupuy et conservé au Muséum de Toulouse, provient de la commune de Mouy qui jouxte le site).
Flore : D’après J.C. Hauguel, associations de Bryophytes remarquables (mais c’est trop compliqué pour moi !) Ophioglosse commune, Valériane dioïque, Gaillet des fanges, Colchique d’Automne, 10 espèces de Carex dont C. lepidocarpa et surtout le Schoin noirâtre, formant faciès, dont le Conservatoire botanique de Bailleul a récolté des graines cette année dans le cadre d’un programme Life, Anagallis tenella (0,5m2 en 2006, environ 600m2 actuellement), Gentiane pneumonanthe (42 pieds plutôt chétifs en 2006, 494 pieds en bonne santé en 2019 ; n’ont été comptés que les pieds fleuris, il faudrait y rajouter le recrutement important).
En quelques mots, être Conservateur bénévole c’est …
Passionnant : découvrir, inventorier, restaurer, partager…
Fatigant : des chantiers hors programme avec des lycéens qui ratissent et qui exportent en courant avec les brancards, faut suivre quand tu as passé 60 ans !
Prise de tête : quand tu dois déterminer des noctuelles ou des micro lépidoptères, ou des punaises ! Tu as déjà essayé de déterminer des punaises ?
Énervant : quand tu découvres que pendant le confinement, tu es resté chez toi alors que d’autres sont venus sur le site après avoir fait sauter les cadenas des barrières, pour camper, faire des feux de camp (et même brûler des arbres sur pied!), et laisser tous leurs détritus sur le terrain.
Pas facile quand tu n’es pas sur place : j’habite à 45km de là. Heureusement, je suis plus que secondé par Chantal BARBAY, qui habite la commune, qui a été Conservatrice bénévole de la Vallée Monnet pendant quelques années, et qui en plus d’encadrer les sorties avec moi peut défendre les intérêts du site au sein du Conseil municipal dont elle fait partie.
Pouvez-vous nous raconter une anecdote lien avec le Conservatoire d’espaces naturels ?
Une anecdote ? Non …deux…
Samedi 8 Avril 2017 après-midi : sortie tout public. Une douzaine de personnes inscrites qui ont eu connaissance de la sortie sur le programme du Conservatoire d’espaces naturels. Mais comme j’avais de mon côté « battu le rappel »avec ma liste de « bénévoles conservatoire », j’avais 34 personnes au rendez-vous ! Mais pas de problème. Si tu expliques bien aux gens que si ils écrasent une Neottinea ustulata, ils risquent de faire disparaître l’espèce au niveau régional parce que pour tous les Hauts-de-France, on ne la trouve plus qu’à la Vallée Monnet, t’inquiètes que chacun fait attention où il met les pieds ! Quand on a quitté le site, personne n’aurait pu dire qu’on y était passé, pas une trace. Suffit d’avoir le bon argument…quoique… ?
Vers 2005 je crois, un des premiers chantiers tout public à la Vallée Monnet. Une dame qui participe pour la première fois à ce type d’opération me demande au bout d’une heure pourquoi on coupe les bouleaux, « c’est tellement joli ». Je renouvelle donc les explications que j’avais déjà donné avant d’attaquer le chantier, à savoir qu’en Picardie on peut trouver des centaines d’hectares de bouleaux arbre pionnier très commun, alors qu’on ne peut y trouver que 200 pieds de Neottinea ustulata, qu’ils sont tous là sur quelques m2, et qu’ils risquent de disparaître étouffés par les bouleaux. « Ben oui, mais c’est tellement joli, les bouleaux ! » Elle a quitté le chantier, et je n’ai vraiment pas cherché à la retenir. Désolé de devoir dire cela, mais si la protection de la Nature demande de la sensibilité, elle n’a que faire de la sensiblerie. Confondre les deux c’est être dangereux.